Article rédigé par Lydia Morel, le 05/04/2012
J’ai écrit cet article après un an et demi d’activité en tant que consultante en développement d’affaires pour le secteur des biotechnologies et de la recherche biomédicale. C’était pour moi l’occasion de faire le bilan de mon activité commerciale et de remettre en question les principes fondamentaux de l’entreprise, et par conséquent son activité.
Cette première expérience d’entrepreneur m’a permis d’être le témoin des dérives et abus de ce domaine d’activité aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. Je souhaitais dénoncer la privatisation à outrance du secteur de la santé et, en amont, de la recherche scientifique en biotechnologie et biomédicale.
Cela ne correspondait pas à mon éthique de système de santé et d’une recherche scientifique qui devraient être tournés avant tout vers l’intérêt général.
Sommaire
Le capitalisme académique
- Constat actuel de la situation économique de la recherche publique en France
- Les conséquences
- La disparition progressive de la recherche fondamentale au profit de la recherche appliquée
- Définition d’axes de recherche prioritaires au sein de la recherche appliquée
- La multiplication des brevets
- Les moyens mis en œuvre pour favoriser le capitalisme académique
- La création des cellules de valorisation
- La multiplication des partenariats public-privé réalisée au détriment du secteur public
Le capitalisme étatique
- Définition contextuelle
- Quelques exemples de concurrence déloyale vis-à-vis des TPE et PME
- Le détournement des fonds publics et la création de niches fiscales
Le lobbying des élites professionnelles du secteur privé sur les politiciens, les élus locaux et les représentants des organismes de protection sociale
- Le lobbying des représentants de l’industrie des biotechnologies auprès des politiciens
- Connivences affichées entre le monde de l’académique et les politiciens
- Les grands financiers à la rescousse de la recherche en biotechnologie
Le capitalisme académique
Constat actuel de la situation économique de la recherche publique en France :
Les politiques de l’Etat français et des autres états de l’Union Européenne (c’est la même politique qui est menée en Allemagne) visent la privatisation de la recherche publique (ainsi que de l’enseignement supérieur). Elles sont encouragées par l’Union Européenne au travers, notamment de son pouvoir exécutif, la Commission Européenne.
En France, nous constatons une baisse régulière du budget de l’Etat dans la recherche publique et l’enseignement supérieur depuis le retour de la droite au pouvoir en 2002. Ce mouvement s’est accéléré sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Il est à noter que ces budgets étaient déjà insuffisants pendant les mandats de François Mitterrand comparés aux autres états européens.
Dépenses de l'Etat français en matière d'enseignement supérieur
En raison du désengagement de l’Etat dans le financement de la recherche publique, les Universités et les grands Etablissements Publics à caractère Scientifique et Technologique, abrégé en E.P.S.T. (CNRS, INSERM, INRA…) et même les établissements publics de soins hospitaliers (les Centres Hospitaliers Universitaires – CHU, particulièrement) sont fortement encouragés à rechercher des financements par leurs propres moyens.
Pour les universités, cela a été renforcé avec la loi d’août 2007 relative aux Libertés et Responsabilités des Universités (LRU en abrégé) qui a encore plus fragilisé le financement de ces dernières, qui étaient déjà le parent pauvre de l’enseignement supérieur et a renforcé la compétition entre universités.
Les conséquences :
La disparition progressive de la recherche fondamentale au profit de la recherche appliquée :
On constate de plus en plus que la recherche fondamentale est sacrifiée au profit de la recherche appliquée. Or, bon nombre de découvertes importantes, pas seulement dans le domaine des sciences de la vie (SDV) et du biomédical, mais aussi dans la plupart des disciplines scientifiques ont été faites de façon fortuite dans le cadre de recherches fondamentales.
- Définition d’axes de recherche prioritaires au sein de la recherche appliquée :
Seuls les axes de recherche ayant une application industrielle sont sélectionnés et considérés comme prioritaires, car ils sont considérés comme rentables. Ce sont ceux qui auront le plus de chance d’obtenir des retombées par rapport aux acteurs du marché (investisseurs, partenaires industriels…).
Ainsi sont laissés de côté les axes de recherche et problématiques complexes, pour ne citer qu’un exemple dans le domaine du biomédical : les maladies rares. En outre, j’ai remarqué que dans la recherche appliquée actuelle tout était fait pour éviter de raisonner, d’analyser en terme global. Il y a une tendance générale pour aller, de plus en plus, vers le "spécialisé". On ne privilégie pas assez la pluridisciplinarité. Il est un fait remarquable à noter : il n’y a aucune réflexion, donc aucune recherche en matière de prévention dans le secteur de la santé ! Evidemment, cela ne fait pas vendre… pourtant la prévention serait un outil très efficace pour lutter contre bon nombre de "maladies" métaboliques, mais aussi contre les maladies infectieuses et parasitaires.
- La multiplication des brevets :
L’une des conséquences qui découle directement des précédentes orientations est la course effrénée aux brevets. Elle est basée sur une vision de la société tournée presque exclusivement vers la recherche de l’innovation et du "progrès" technologique.
Malheureusement l’innovation et le "progrès" technologique tels que définis par la caste dirigeante ne sont que rarement synonymes de réelles avancées sociales pour la population. Ces innovations sont bien souvent nuisibles si elles sont aux mains d’intérêts privés ou de pouvoirs politiques autoritaires (j’y inclus toutes les pseudo-démocraties). En outre, beaucoup de ces innovations sont réellement inutiles !
De par mon expérience et mes connaissances en histoire, en archéologie, en paléoanthropologie, je serais plutôt de l’avis que ces "progrès technologiques" ont permis un plus grand asservissement de la population. D’ailleurs, la plupart des individus n’en sont pas conscients…
Je ne remets pas en cause certaines technologies et innovations qui apportent un réel bienfait à la population. Je ne citerai, par exemple, que celles qui concernent l’amélioration des conditions sanitaires, du diagnostic de certaines pathologies ou malformations graves, des techniques chirurgicales non-invasives…
Les moyens mis en œuvre pour favoriser le capitalisme académique :
- La création des cellules de valorisation :
Afin d’encourager et de mettre sur pied une politique de la recherche publique tournée vers les applications industrielles et les partenariats public-privé, l’Etat français soutenu par l’Union Européenne, a créé une nouvelle structure administrative au sein des universités : les cellules (ou bureaux) de valorisation et de transfert de technologie (les fameux "Technology Transfer Offices", en anglais, abrégé en TTOs).
Les EPST ont résolu le dilemme lié à leur statut d’établissement public en créant des filiales, des entreprises de droit privé sous forme de sociétés anonymes. Nous pouvons citer : Fist SA pour le CNRS, créée en 1992, INSERM Transfert depuis 2000, INRA Transfert depuis 2001. Toutes ces sociétés privées, filiales d’EPST, ont vu leurs effectifs augmenter à partir de 2005 environ.
Certaines structures publiques de recherche, telles le CEA et l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) sont des EPIC (Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial). Elles peuvent donc juridiquement, de par leur statut, sans transformer leur structure, faire du commerce de leurs découvertes. Elles possédaient donc dès le début de leur création des départements de valorisation et de transfert de technologie. Si l’on réunit ces deux entités, CEA et IRSN, ce sont actuellement plus de 2000 personnes qui travaillent dans le secteur des sciences de la vie et du biomédical.[1]
Les objectifs et activités des cellules de valorisation (TTOs) :
- sensibiliser et former le personnel de la recherche à la propriété intellectuelle et à la protection de ses données : le brevet, la gestion des communications extérieures (congrès, conférence)
- sensibiliser et encourager la création d’entreprise (start-up) pour les chercheurs qui ont développé un brevet promoteur
- gérer le portefeuille de brevets appartenant à l’université ou l’EPST/EPIC : trouver des acquéreurs et exploitants de licences afin d’obtenir des subsides
- augmenter les partenariats public-privé au niveau de la recherche : faire financer la recherche appliquée par les industriels
Tous ces objectifs sont faits pour rapporter des financements à l’université et aux EPST.
- La multiplication des partenariats public-privé réalisée au détriment du secteur public :
Contexte :
Les partenariats public-privé sont d’autant plus nocifs qu’ils sont pratiqués avec des grandes entreprises, notamment les multinationales de l’industrie pharmaceutique, communément appelées les Big Pharma. En tant que consultante du secteur, j’ai pu assister à des conférences spécialisées sur le transfert de technologie. Dans ces conférences et conventions[2], j’ai entendu et rencontré les acteurs du public (responsables et chargés d’affaires des TTOs) et du privé (responsables du licensing & des relations avec l’académique des Big Pharma). Quelques-unes des stratégies de développement de l’industrie pharmaceutique ont été publiquement présentées lors de la conférence Tech Transfer Summit en septembre 2011 à Paris. Le directeur du département "Scouting & Partnering International" de Sanofi-Aventis présenta sa vision des partenariats public-privé et quelques projets en cours et programmes de recherche à venir avec des équipes de recherche du public.
Ces conférences sont souvent associées dans une seconde partie à une convention d’affaires. Les acteurs publics et privés peuvent donc se rencontrer lors de rendez-vous d’affaires et commencer les négociations.
La tendance pour l’industrie pharmaceutique depuis ces dernières années est d’externaliser de plus en plus le département de Recherche et Développement (R & D), car le budget est très important. Or, l’investissement en matière de R & D n’est pas toujours associé à des résultats probants.
Rappel historique sur l’évolution du business model de l’industrie pharmaceutique :
Toutes les Big Pharma sont issues du secteur de la chimie traditionnelle. Pour certaines, leur histoire remonte au début du XXème siècle. Elles ont réussi grâce à une politique de "Blockbusters" à acquérir de grandes parts de marchés en imposant certains médicaments dans le "traitement" de certaines maladies, qui bien sûr concernaient un grand nombre de patients pour que ces médicaments puissent être rentables, d’où leurs surnoms de blockbusters.
La plupart des brevets de ces blockbusters arrivaient à échéance dans les années 90 et début 2000, et les droits allaient tomber dans le domaine public. Avec la concurrence acharnée entre industries pharmaceutiques et l’arrivée des premiers génériques sur le marché, les Big Pharma ont commencé à la fin des années 80 par une stratégie de fusions-acquisitions auprès d’entreprises concurrentes. Ce mouvement s’est accéléré dans les années 90 et début 2000. Les Pharma ont pu retrouver une certaine profitabilité et acquérir une taille critique pour leur permettre de maintenir leur position dominante sur le marché. Cela leur a permis aussi de compléter leurs portefeuilles de médicaments. Toutefois, les médicaments traditionnels n’étaient plus assez prometteurs en termes de retombées financières.
Pour rester innovante afin d’être le plus rentable possible, les Big Pharma se sont de plus en plus tournées vers les entreprises de biotechnologies. La biotechnologie représente une voie d’avenir pour l’industrie pharmaceutique traditionnelle, car les produits technologiques développés à partir des sciences du vivant sont hautement complexes et très innovants[3]. Ils sont perçus comme une nouvelle voie thérapeutique par le corps médical pour le traitement de maladies graves et émergentes. Ils représentent donc une lueur d’espoir pour le traitement de certaines pathologies. Etant donné que la population est prête à payer cher pour avoir accès aux soins les plus prometteurs, ces produits issus de la biotechnologie peuvent être "vendus" au prix fort et seront donc générateurs d’une forte rentabilité, même s’ils entraînent des coûts de R & D très élevés.
Stratégie actuelle de développement économique de la Big Pharma :
Ainsi la Big Pharma pour rester toujours à la pointe de l’innovation et de la rentabilité a adopté deux stratégies par rapport aux jeunes entreprises de biotechnologie :
- soit acheter les droits de licences ou acquérir le brevet si nécessaire appartenant à ces entreprises, stratégie la plus simple économiquement, mais pas toujours sur le plan scientifique, car la Big Pharma n’a pas les compétences en interne pour développer des produits biotech.
- soit si l’entreprise de biotech est très prometteuse alors la Big Pharma procède à une fusion/acquisition. Toutefois, plus l’entreprise de biotechnologie est grande, plus le montage est complexe : enjeux financiers importants et risques élevés. Mais le problème des compétences en interne est résolu.
Je ne parlerai pas de la R & D sous-traitée aux sociétés de recherche sous contrats (les Contract Research Organization, CRO), car pour la partie très en amont (drug discovery) et jusqu’à la preuve du concept (phase 1 des essais cliniques), les CRO sont rarement concernées.
Une alternative se présente maintenant aux Big Pharma, c’est celle que j’ai mentionnée un peu plus haut : faire travailler les laboratoires de recherche publics pour la partie très en amont de la R & D. Maintenant, grâce aux politiques menées par les autorités nationales et européennes, les industries pharmaceutiques se voient offrir sur un plateau des possibilités d’exploiter presque gratuitement ces laboratoires et équipes de recherche pour les faire travailler non seulement à des fins commerciales, mais en plus selon des axes de recherche qu’elles auront définis.
Comment la recherche publique se vend à la Big Pharma
En outre, les responsables des TTOs et les directeurs de recherche de l’académique sont des proies faciles pour ces multinationales, car ils ne sont pas rôdés aux techniques et magouilles du monde de l’entreprise. Toutefois, ne soyons pas naïfs, beaucoup de hauts fonctionnaires y voient aussi leurs intérêts…
Effectivement cette solution d’externalisation de la R & D est financièrement la plus rentable et la plus facile à mettre en œuvre pour l’industrie pharmaceutique. Les laboratoires publics sont perdants dans l’affaire. Mais les plus à plaindre sont les citoyens, qui voient leur argent détourné par les autorités pour servir les intérêts financiers d’un petit nombre de personnes. Bientôt, les entreprises pharmaceutiques, aidées par les politiciens véreux, vont se vanter d’être les sauveurs de la recherche publique ! Nous en sommes presque là…
Le capitalisme étatique
Définition contextuelle :
J’entends par "capitalisme étatique" l’Etat et toutes ses représentations au niveau national, territorial et local (CCI, EPIC, créations d’entreprises de droit privé émanant directement d’établissements publics de recherche et dont le financement est toujours en partie public), qui ont normalement une mission de service public, qui se mettent à promouvoir le secteur privé et qui concurrencent de façon déloyale les Très Petites Entreprises (TPE) et Petites et Moyennes Entreprises (PME) installées sur leur territoire. Cette concurrence ne s’exerce pas seulement dans le secteur de la santé et de la recherche biomédicale, mais aussi sur tous les secteurs à forte innovation technologique, comme le montre le document de la CCI du Val d’Oise présenté dans l’encadré plus haut.
Quelques exemples de concurrence déloyale vis-à-vis des TPE et PME :
- Le domaine du conseil et de l’expertise
- Les prestataires de services technologiques destinés aux PME et certaines grandes entreprises : c’est le cas, par exemple, des prestataires en analyse protéomique et ingénierie protéique[4] qui se voient directement concurrencés par les plateformes technologiques publiques présentes dans les pôles de compétitivité et au niveau des "centres d’excellence" en matière de recherche biomédicale.
Le détournement des fonds publics et la création de niches fiscales :
- Les fonds publics alloués aux politiques d’aménagement du territoire à travers la création des pôles de compétitivité et centres d’excellence s’élèvent à des centaines de milliards d’euros depuis le début des années 2000.
La politique des investissements d’avenir, lancée en 2010 par le gouvernement et dont la liste des projets retenus a été publiée au second semestre 2011, concerne principalement des infrastructures nationales en sciences de la vie et en santé et la création de superstructures de valorisation (les Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologie, les SATT) au niveau régional. Cela représente plusieurs milliards d’euros d’investissement au total.
Toutes ces plateformes ont été à l’origine construites pour servir aux chercheurs des différents laboratoires publics (mise en commun du matériel car coût financier très élevé et personnel qualifié) mais aussi des établissements hospitaliers. Avec la privatisation des différents services publics, ces plateformes se sont ouvertes aux entreprises privées, qui sont devenues des clients. Mais les prix pratiqués pour les entreprises du privé sont relativement modiques par rapport au prix du marché, car les services sont fortement subventionnés par l’Etat.
- Le Crédit Impôt Recherche (CIR), destiné aux PME qui consacrent au moins 15% de leurs charges dans des dépenses de recherche et développement, qui a été très étendu dans ses critères d’éligibilité depuis sa réforme de 2008, est maintenant critiqué. Beaucoup d’abus ont été constatés. Certaines grandes structures et filiales de multinationales peuvent en profiter, alors que ces entreprises n’étaient pas concernées au départ. Par conséquent, il ne revient que trop rarement aux petites entreprises indépendantes qui en ont réellement besoin.
Le lobbying des élites professionnelles du secteur privé sur les politiciens, les élus locaux et les représentants des organismes de protection sociale
Le lobbying des représentants de l’industrie des biotechnologies auprès des politiciens :
En parallèle de la campagne présidentielle, les représentants de l’industrie biotech & pharma se mobilisent pour peser sur la campagne électorale et les politiciens.
Je suis allée fin janvier à une réunion-débat organisée par l’association France Biotech qui avait réuni quelques représentants des candidats à l’élection présidentielle présenter leur programme pour l’industrie des biotechnologies (cinq partis étaient représentés : FN, UMP, Nouveau Centre, PS, Europe Ecologie-Les Verts). France Biotech avait auparavant préparé et mis en ligne un "Manifeste pour une politique de l’innovation industrielle dans les sciences de la vie" dans lequel l’association présentait ses propositions aux candidats à la Présidentielle 2012.
Soutien affiché des syndicats professionnels pour un candidat à la Présidentielle
Si François Hollande et le PS sont d’accord avec les propositions de France Biotech, incarné par son président, représentatif des grands industriels de la biotech et de la pharma (il est PDG du groupe Cellectis côté en bourse), qui prônent ouvertement encore plus de privatisation du secteur public et des produits du vivant, encore plus de spéculations boursières, accompagnées d’une plus grande souplesse et rapidité dans la règlementation… alors nous ne serons pas étonnés que non seulement le PS ne fait pas peur aux grands industriels et financiers, mais qu’au contraire ce parti devient maintenant leur fer de lance !
Connivences affichées entre le monde de l’académique et les politiciens :
Un peu dans la même veine, j’ai également assisté aux "Rencontres Dauphine Santé", cycle de trois débats contradictoires à l’Université Paris-Dauphine sur le thème de la "santé en France de 2012 – 2017" en présence des représentants de quatre partis politique (UMP, Nouveau Centre, PS, Europe Ecologie-Les Verts). Les thèmes abordés traitaient de l’avenir de la médecine libérale, de celui de l’hôpital public et des établissements hospitaliers dans leur ensemble, ainsi que du mode de financement de la protection sociale. Les débats étaient animés par le Président du Collège des Economistes de la Santé, aussi directeur d’études à Paris-Dauphine en "Economie et gestion de la santé", grand défenseur de l’économie de marché et du système capitaliste. Le "débat" ne pouvait être que biaisé d’autant plus que seul un panel constitué "d’experts" triés sur le volet pouvait interroger les politiques. L’assistance n’y était pas autorisée.
Les grands financiers à la rescousse de la recherche en biotechnologie :
En tant que gérante d’entreprise, j’ai assisté en mars 2012 à une conférence (gratuite mais sur invitation) intitulée "Réussir le virage des biotechnologies en Europe. La santé humaine au cœur de la croissance économique". Cet évènement était organisé par la société Edmond de Rothschild Investment Partners, filiale du groupe Edmond de Rothschild, qui investit depuis quelques années dans le secteur des biotechnologies, espérant une future "bulle financière de la biotech". Afin de convaincre les investisseurs présents dans l’assistance (probablement déjà des clients et partenaires de la filiale Rothschild), les banquiers avaient invité comme intervenants des membres réputés du corps médical et scientifique, ainsi que des représentants du secteur industriel de la biotechnologie (le président de France Biotech) et de la pharmaceutique (le président de l’association Européenne des Entreprises Biopharmaceutiques – European Biopharmaceutical Enterprises). La conférence était à nouveau animée par le président du Collège des Economistes de la Santé.
J’ai eu l’occasion de parler avec un investisseur potentiel qui était le responsable du pôle économie du groupe Audiens, organisme de protection sociale. Ce responsable avait été invité car Audiens en tant que client de Edmond de Rothschild Investment Partners, avait confié la gestion d’une partie de ses fonds de pension comme fonds d’investissement à risque (private equity). C’est intéressant et instructif de prendre conscience de la façon dont ces organismes placent l’argent provenant des cotisations sociales de leurs adhérents. Est-ce vraiment dans l’intérêt des cotisants ?
En guise de conclusion
Je suis maintenant de plus en plus convaincue, au vue de tous ces dysfonctionnements et ces dérives, que le secteur des sciences de la vie et celui de la recherche biomédicale doivent majoritairement rester dans le secteur public, en tant que propriété de la population. Notre système de santé doit être redéfini pour que lui aussi soit de nouveau une mission de service public.
S’il peut rester des domaines de ces secteurs dans le secteur privé, alors cela ne concernera qu’une minorité de produits et services et de toute façon cela ne pourra pas se faire selon une conception capitaliste du marché. A mon avis, la plupart des traitements thérapeutiques (médicaments, biomédicaments, thérapies cellulaires et géniques…) sont très longs et coûteux à développer, donc peu rentables, il est donc paradoxal de les "confier" au secteur privé, sans parler des aspects éthiques et du réel rapport bénéfices/risques qui est souvent mal évalué…
Que reste-t-il pour le secteur privé ?
Pour ce qui est du domaine du diagnostic, il semblerait que les biomarqueurs soient presque aussi complexes que les biomédicaments à découvrir et à mettre au point. Cela devrait donc retomber dans le domaine public.
Ce qui pourrait rentrer dans le secteur privé, ce sont des produits et services auxiliaires (non vitaux pour la population), par exemple un certain type d’outillages et d’appareillages dans le domaine des biotechnologies.
Il faudrait envisager pour ces entreprises "privées" une gouvernance d’entreprise plus démocratique, plus responsable et plus pérenne de type Scop. Leur objectif devra être avant tout de respecter l’intérêt général de la population. Elles devront être rentables (c’est-à-dire atteindre le seuil de rentabilité), mais il n’y aura pas de recherche de profit. En plus des salariés-associés qui seront décisionnaires pour 65% du droit de vote (d’après les statuts fondateurs des Scop), il faudrait ajouter les représentants des usagers/patients et associations de citoyens au conseil d’administration. Le modèle d’entreprise de demain est à réinventer. Il existe déjà des modèles dont nous pouvons nous inspirer…
Je pense que les entreprises publiques devront aussi adopter une gouvernance et une gestion démocratiques, ce qui n’est pas le cas actuellement !
Il faut également éviter le gigantisme. Il faut revenir à des structures de plus petites tailles. Les entreprises de plusieurs dizaines de milliers d’employés sont à proscrire.
Il est inutile de nationaliser toutes les grandes industries pharmaceutiques, car beaucoup de médecins reconnaissent actuellement qu’il y a trop de médicaments (remboursables et en automédication) sur le marché. En France, il y aurait au moins 5000 médicaments autorisés sur le marché[5]. Une partie du corps médical s’accorde à dire que la majorité de ces médicaments sont redondants, inefficaces et entraînent des effets secondaires non négligeables. Il faudrait restreindre la liste à quelques centaines d’après eux[6] !
Grimaldi A, Tabuteau D, Bourdillon F, Pierru F, Lyon-Caen O. Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire. Paris : les éditions Odile Jacob, septembre 2011. p. 109–118.
NB) En octobre 2012, cinq professeurs de médecine, dont André Grimaldi, ont lancé un appel "Pour une autre politique du médicament", dans lequel ils confirment la surconsommation des médicaments par les Français et le trop grand nombre des spécialités : "Les Français consomment trop de médicaments inutiles et exagérément coûteux. Sans dommage, on pourrait diviser leur nombre par quatre." Selon une dépêche de l’AFP, consultée le 15/10/2012 sur le site internet du Figaro : http://sante.lefigaro.fr/actualite/2012/10/08/19247-medicaments-experts-reclament-guide-officiel
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